Sâgigsisimârnapok (*)

(*) « ce qui vous donne un beau visage » en langue inouit

Un jour, la mort de mon père devint proche. (…) Mon père regarda dans la direction du sud, et il aperçut la mort. Elle entrait dans la maison suivie d’une foule de personnages habillés de feu, innombrables, et dont la bouche lançait de la fumée et du soufre.
Les yeux de mon père avaient peur et ils versaient des larmes. En ce moment là son âme se détacha en poussant un grand soupir, tandis qu’elle cherchait un moyen de se cacher.
Lorsque j’ai vu, au gémissement de mon père, qu’il avait aperçu des puissances qu’il n’avait encore jamais aperçues, je me levai et menaçai la mort. Elle prit peur.
Lorsque mon père eu rendu l’esprit je l’embrassai. Je pensai : O Dieu, où sont maintenant tous les travaux de métier qu’il a faits depuis son enfance jusqu’à maintenant ? Ils ont tous passé en un seul moment. C’est comme s’il n’était jamais né en ce monde.

(évangiles apocryphes de la nativité et de l’enfance, Histoire de Joseph le charpentier, extrait de l’adaptation théâtrale)

L’adaptation theatrale
Que viennent faire les évangiles apocryphes de la nativité dans l’histoire d’un jeune eskimo ? L’enfance de Jésus ne s’oppose pas à celle d’Agojaraq ; les personnages qui participent à l’éducation de ces deux enfants se complètent. Les uns sont simplement humains, les autres ont une portée symbolique. Comme le destin de ces deux enfants : au terme de son enfance heureuse, Agojaraq part découvrir le monde ; Jésus lui, se met en route pour le sauver. Peu importe qu’il y soit parvenu ou non.


© Mercedes Riedy

Presse – extraits

24Heures, février 2003, Corinne Jaquiéry
Le ton est vif, joyeux, les phrases volent, rapides et légères, la jubilation est palpable. En répétition, les sept comédiens de Sagigsisimârnapok sont gagnés par l’atmosphère allègre qui se dégage d’un texte empreint de merveilleux, de malice et de poésie.
(…)
Après Lettres à son frère Théo, de Vincent Van Gogh et Pour solde de tout compte, deux créations remarquées pour leur force et leur sensibilité, le metteur en scène lausannois, père d’un petit garçon de 6 ans, a donc éprouvé la nécessité de continuer de s’exprimer sous la forme du témoignage d’une histoire de vie, avec l’envie de parler de famille et d’éducation. Il a aimé, dans le récit de Jörn Riel, « l’idée d’une communauté d’adultes responsables et concernés par le devenir de leur enfant qui s’appliquent sereinement, de manière critique et clairvoyante, à leur fournir les moyens de faire leur travail d’enfant : témoigner de la vie »
Pour Georges Brasey, parler souvent péjorativement de famille éclatée, comme s’il n’y avait qu’un seu exemple familial, est absurde. « Dans l’histoire de Sagigsisimârnapok, il y a cinq pères et deux femmes, et tous ont un respect infini, un respect peu banal de ce qu’est un enfant. Ce qui est passionnant, c’est aussi que ces gens qui vivent ensemble dans un tout petit espace parviennent à s’entendre malgré leurs différences. Ici, la différence permet de se situer et de renvoyer à ses propres limites et à ce que nous sommes »

Le Temps, février 2003, Anna Holer
(…)Sagigsisimârnapok, mis en scène par Georges Brasey, ne fait pas rire, ni même sourire. Et les visages, à la sortie de la salle, sont comme fanés. De déception. Pourtant, l’histoire que nous racontent les comédiens envoûte. Agojaraq, un jeune métis eskimo, témogne de son enfance dans le nord canadien. Il vit dans une « maison de paix », représentée sur scène par des traîneaux de bois sur un énorme drap blanc gonflé d’air. « Une maison avec une jolie voix et une odeur familière, un temple e l’amitié »
(…)
Dans ce foyer règne le bonheur. Un bonheur léger et fragile. Parce qu’après deux pièces belles et noires, Lettres à son frère Théo, d’après Vincent Van Gogh et Pour solde de tout compte, inspiré du récit d’une prostituée suisse romande, Georges Brasey a eu envie de parler de bonheur. Seulement, il ne passe pas la rampe. La pièce se termine au moment où l’on a juste fini de planter le décor. Le montage des textes est peu clair, et le personnage de Marie tombe comme un cheveu sur la soupe. Les comédiens oscillent entre un émerveillement affiché et le burlesque, ce qui étouffe toute poésie. Le ton juste, celui qui nous aurait donné un beau visage, est loin.

Le Courrier, février 2003
On connaît Georges Brasey pour son précédent Pour solde de tout compte témoignage bouleversant des horreurs de la prostitution, et spectacle qui a durablement marqué les esprits. Il revient aujourd’hui avec un théâtre à la forme sensiblement similaire – il s’agit toujours de rendre compte d’un témoignage – mais malheureusement moins convaincante. Amoureux d’une parole organique qui circule entre la scène et la salle et les surplombe toutes deux, Georges Brasey dirige ses acteurs comme des porte-langue. On regrettera dès lors que, dans Sagigsisimârnapok, ceux-ci cèdent si souvent à l’incarnation, voire au surjeu. Le projet n’en reste pas moins intéressant, puisqu’il s’agit de montrer un parcours de vie heureux grâce au modèle social communautaire. Un spectacle en dents de scie, donc.